Créer une atmosphère conviviale et constructive dans le cadre du dialogue social est-ce compliqué?
Bénédicte de Callataÿ: Pour commencer, je voudrais rappeler que le dialogue social et le CPPT se passent très bien dans de nombreuses entreprises. Ce que je voudrais partager ici, ce sont des astuces pour éviter de plomber l’atmosphère et de rendre le dialogue difficile.
Et la première réunion, c'est elle qui détermine si les travaux du CPPT se dérouleront dans une atmosphère constructive?
Bénédicte de Callataÿ: La première réunion est capitale même si elle ne détermine pas tout. Il y a, de manière générale, l’influence de la culture d’entreprise et du climat social. Mais cette réunion envoie néanmoins les premiers signaux, qui peuvent être positifs ou négatifs et donne des indications quant au ‘ton’ sur lequel les discussions vont se jouer. Il vaut mieux opter pour des signaux positifs car une fois les mauvaises attitudes prises, il sera très difficile de rectifier le tir et de gérer l’apparition de tensions éventuelles. Cette première réunion doit être bien pensée et préparée afin d’éviter de tomber dans des pièges qui risquent de mettre à mal les relations dès le départ et peut-être de manière durable.
L’attitude adoptée par le président du CPPT lors de la première réunion joue donc un rôle important dans le succès de la concertation?
Bénédicte de Callataÿ: En matière de concertation, tout est une question d’attitude ou presque. Le président, représentant l’employeur, tient le rôle titre. De par sa position, il a une grande responsabilité. Instaurer un CPPT est une obligation légale. Mais le concevoir principalement - et bien souvent exclusivement - sous cet angle est un mauvais signal à envoyer aux représentants des travailleurs. Il faut que les représentants des employeurs voient dans le CPPT une opportunité, une chance pour l’entreprise d’améliorer la santé et la sécurité au travail et ses performances tout court. Il est moins compliqué qu’il n’y paraît d’envoyer ce signal positif. Parfois quelques démarches et attitudes de la part du président suffisent, en effet, à mettre tout le monde en confiance.
Quelles sont les attitudes et démarches en question?
Bénédicte de Callataÿ: Le premier écueil à éviter, c’est clairement de montrer qu’on n’a pas que ça à faire. Par exemple, reporter la première réunion du CPPT parce qu’il y a une urgence ou une priorité ailleurs serait un signal désastreux. On me raconte que dans certaines entreprises, les représentants de l’employeur pianotent sur leur smartphone ou leur tablette pendant la réunion. Ici aussi le message est clairement: "J’ai d’autres problèmes à régler et ils sont prioritaires". Il ne faut pas négliger la frustration qu’engendre ce type de comportement encore fort répandu. Rappeler des règles évidentes de politesse et de conduite s’appliquant à tous et au président du CPPT en premier (mettre les GSM sur silence, ne pas utiliser sa messagerie pendant la réunion, fixer une heure de fin de la réunion et s’y tenir strictement) n’est pas superflu.
Il arrive parfois que le mot de bienvenue du président soit déjà empreint d’agressivité. C’est un mauvais départ. J’insiste sur le fait que, dans bien des cas, la direction de l’entreprise aurait intérêt à se remettre en question avant d’entamer la première réunion du CPPT.
Concrètement, quels seraient les petits trucs pour envoyer des signaux positifs lors de la première réunion?
Je pense qu’il faut marquer le coup pour la première réunion. Pourquoi ne pas inviter les nouveaux élus en dehors de l’entreprise, "au vert" ou organiser une réunion suivie d’un repas ou accompagnée d’un petit-déjeuner croissants? On donne ainsi le signal qu’on souhaite de la convivialité au sein du CPPT. Dans l’allocution d’introduction, il est important que le président félicite les représentants des travailleurs pour leur élection. Il faut aussi se montrer ouvert et intéressé. Certains représentants des travailleurs ont tendance à se profiler, d’emblée, comme un clan dont l’objectif est de faire "plier" l’employeur ou de mettre en défaut le conseiller en prévention. Pour apaiser les esprits, un petit truc facile consiste à faire un tour de table en demandant à chacun d’expliquer en quelques mots pourquoi il s’est présenté aux élections sociales et ce qu’il attend des travaux au sein du CPPT. Ce petit exercice permet aussi au président du CPPT et au conseiller en prévention de repérer de potentiels ‘alliés’: ceux qui abordent leur rôle de manière constructive et rationnelle.
Les CPPT sont en général des petits groupes. Or, dans les groupes restreints s’installent rapidement des dynamiques de groupe dont les effets ne sont pas toujours favorables à un débat serein. Peut-on remédier aux phénomènes qui empêcheraient, le cas échéant, que le CPPT travaille de concert dans un but commun?
Bénédicte de Callataÿ: En effet, une dynamique de groupe peut s’installer, par exemple, en fonction de la manière dont les protagonistes s’installent dans la salle de réunion. J’ai déjà pu constater des scénarios dans lesquels les représentants des travailleurs arrivent les premiers dans le local de réunion et s’installent côte à côte constituant ainsi un bloc en rang serré. Les représentants de l’employeur arrivent les derniers, et parfois même en retard, ce qui constitue déjà un mauvais signal. Mais surtout ils sont, de cette façon, contraints de faire face à un groupe ‘physiquement soudé’. Ce n’est pas une disposition facilitant la concertation constructive. Lors de la première réunion en particulier, il serait bien que le président du comité et le conseiller en prévention arrivent les premiers de sorte qu’ils puissent accueillir personnellement chaque membre du CPPT et que la répartition des personnes autour de la table soit plus ‘aérée‘. Le président peut facilement inviter les personnes à s’installer de façon à former un cercle, par exemple.
Le conseiller en prévention est le secrétaire du CPPT. Y a-t-il aussi des choses qu’il puisse faire concrètement pour donner le ton?
Bénédicte de Callataÿ: La position du conseiller en prévention est délicate. Il a, en principe, une posture neutre. Il faut bien reconnaître toutefois que celle-ci est bien souvent biaisée ou, en tout cas, perçue comme telle par les représentants des travailleurs. Aussi, il est essentiel que l’employeur (son représentant) déclare ouvertement qu’il reconnaît et respecte ce statut du conseiller en prévention. Il est aussi important que le rôle du conseiller en prévention soit formellement rappelé. Il faut éviter toute confusion des genres et s’il est logique que le conseiller en prévention s’assoie au côté de l’employeur ou son représentant lors de la réunion (parce qu’il est le secrétaire du comité), il n’en garde pas moins sa position d’intervenant ‘neutre’.
C’est pourtant généralement le conseiller en prévention, et pas l’employeur, qui est la cible des critiques dans un CPPT. N’y a-t-il pas là aussi un besoin de mettre les choses au point?
Bénédicte de Callataÿ: Le conseiller en prévention a un rôle très difficile. La tendance, lorsqu’on est dans une position difficile, est de devenir agressif, c’est un réflexe très humain mais qui ne mène à rien de bon. Le conseiller en prévention pourrait au contraire exprimer son inconfort par rapport à cette situation où il est pris en étau entre les demandes des travailleurs et les exigences de l’employeur. Cela pourrait l’aider. Il peut aussi s’engager formellement à considérer tous les points de vue. Par ailleurs, être assertif est une attitude indispensable dans une entreprise. Il faut préciser toutefois qu’assertivité ne signifie pas ‘agressivité’. Le conseiller en prévention doit être assertif. S’il ne possède pas ‘naturellement’ cette compétence, elle s’apprend.
Un des premiers points à l’ordre du jour de cette première réunion, c’est le règlement d’ordre intérieur. Est-ce que là aussi il y a des éléments auxquels on peut être attentif?
Bénédicte de Callataÿ: L’erreur à ne pas commettre c’est de venir avec l’ancien règlement d’ordre intérieur et de dire "Voilà ce qui existe. Il est très bien, on va donc le reprendre tel quel". Il y a, peut-être, autour de la table de nouvelles personnes. Agir de cette façon reviendrait à "nier" cette réalité. Faire comprendre que "Au fond, vous ou les autres, c’est la même chose" est une erreur qui peut déjà être à la source de frustrations. D’ailleurs, c’est une règle générale dans un organe de concertation: le président doit d’abord écouter avant de proposer. Or il arrive souvent que la direction vienne avec des solutions toutes faites, par souci d’efficacité et pour gagner du temps. Ce qui est sans doute très louable mais c’est un mauvais calcul. Une telle attitude donne l’impression que les idées des personnes autour de la table ne comptent pas, que les gens sont là pour valider ou invalider les idées de la direction. Dans une telle situation, le réflexe sera souvent de s’opposer à la proposition. C’est humain.
Dans une concertation, il faut donc mettre en place une écoute des personnes autour de la table. Mais ce sont souvent toujours les mêmes qui parlent, non?
Bénédicte de Callataÿ: : Oui, en effet, et cela peut avoir des répercussions sur la perception des problèmes soulevés ou limiter les propositions en provenance des travailleurs. Ce ne sont pas toujours ceux qui parlent le plus qui ont les meilleures idées. Un petit truc très simple pour remédier à ce type de schéma, c’est de systématiser le tour de table en limitant le temps de parole de chacun: deux minutes par exemple. De manière plus générale, il faudrait fixer, en accord avec les membres du CPPT, quelques règles de communication et une limite précise à la durée de la réunion.
Les points soulevés au comité peuvent eux aussi faire naître de l’irritation du côté de l’employeur lorsque ceux-ci portent sur des questions qui ne présentent pas un caractère essentiel ou urgent. Par ailleurs, il peut aussi y avoir clairement un manque d’expertise de part et d’autre qui ne fait pas nécessairement avancer le débat. Comment gérer ce type de situations sans brusquer les individus?
Bénédicte de Callataÿ: : Une règle d’or dans la concertation, c’est qu’il faut entendre et accueillir toutes les demandes sans exception. Il ne faut surtout pas d’emblée se mettre à expliquer pourquoi tel ou tel problème n’a pas droit de cité au CPPT. La personne se sentira éconduite et, inévitablement, sa réaction sera émotionnelle au lieu d’être rationnelle. Il faut donc amener la personne à percevoir elle-même et rationnellement que d’autres enjeux bien plus fondamentaux devraient logiquement être traités en priorité.
Ensuite, on ne peut reprocher à personne de ne pas tout savoir sur tout. Les problématiques du bien-être au travail sont vastes. Dans de nombreux cas, l’expertise interne n’est pas suffisante pour analyser objectivement et sereinement une situation. A propos de certaines thématiques (amiante, risques psychosociaux,…), l’émotionnel peut rapidement prendre le dessus sur tout le reste d’un côté comme l’autre. Faire appel à un expert extérieur s’avère utile pour recueillir les bonnes informations et "dépassionner" les débats. Cette possibilité est souvent peu utilisée. Par ailleurs, il pourrait être intéressant que l’employeur offre une formation à la santé et la sécurité au travail aux nouveaux membres du CPPT.
Ne faut-il pas aussi parfois savoir être ferme dans une discussion pour éviter que les échanges, au final, ne conduisent nulle part?
Bénédicte de Callataÿ: Evidemment. Développer une certaine assertivité est d’autant plus nécessaire que, dans beaucoup d’organes de concertation, la technique des représentants des travailleurs consiste à "demander beaucoup pour être sûrs d’obtenir quelque chose en fin de compte". Or, ce n’est pas la technique la plus efficace. Au contraire, il est fort probable que face à des propositions "raisonnables", l’employeur interprète cette attitude comme une prise en compte de l’ensemble des contraintes de l’organisation et soit disposé à accorder un peu plus que ce qui est demandé.
La question se pose aussi de savoir comment le CPPT communique avec le reste des travailleurs. Comment assurer une bonne communication?
Bénédicte de Callataÿ: Bien sûr, il y a l’affichage ou la communication par toutes autres voies du compte-rendu des réunions. C’est une obligation légale. Mais il faut bien reconnaître que ces PV de réunion n’ont généralement rien de ‘folichon’, sans compter qu’il faut encore pouvoir comprendre de quoi il retourne. Lorsque la relation est collégiale dans le CPPT, il n’y a aucun risque de communication parallèle des représentants des travailleurs, éventuellement biaisée, vers le reste du personnel. Mais il est possible que les représentants des travailleurs s’adressent directement aux travailleurs (leurs électeurs) dans des termes du style: ‘nous avons obtenu de la direction que…’, afin de démontrer l’efficacité de leur travail. C’est une situation qui tend à donner l’image de deux camps qui s’affrontent au sein du CPPT sans que cela ne corresponde nécessairement à une réalité. Pour éviter cet écueil et le risque qu’il y ait une double communication dans l’entreprise, je prône l’instauration d’un système de communication commune sur les décisions concrètes prises en comité, par exemple, une initiative particulière telle que la mise en place d’un groupe de travail ad hoc, l’organisation d’une formation spécifique,...
Quels conseils donneriez-vous aux membres du CPPT?
Bénédicte de Callataÿ: On pourrait parler de ce sujet pendant des heures, tant il est vaste. Mais si j’avais trois messages à transmettre, ce serait ceux-ci: réussir sa concertation sociale est avant tout une question d’attitude. Le succès passe par la volonté de bien le faire, et de bien s’y prendre dès le début. Et enfin, il ne faut jamais hésiter à recourir à l’humour qui est parfois un excellent moyen de faire retomber la tension. Et ces conseils s’adressent aussi bien à l’employeur qu’aux représentants des travailleurs!
Bénédicte de Callataÿ est juriste, médiatrice et formatrice. Elle a siégé dans le CPPT et le CE d’une grande entreprise et elle a également une expérience de négociatrice au sein d’une commission paritaire.