Suicide sur le lieu de travail

Depuis février 2008, pas moins de 24 employés de France Télécom se sont donné la mort et treize autres ont attenté à leur propre vie. Mi-septembre encore, un technicien de 49 ans tentait de se suicider en se plantant un couteau dans l’abdomen au beau milieu d’une réunion au cours de laquelle il venait d’apprendre sa réaffectation. Le suicide au travail, phénomène ponctuel ou récurrent?

Un cas isolé?
Bien que la direction de France Télécom insiste sur le fait que le nombre de cas recensés au sein du personnel de l’entreprise n’est pas plus élevé que la moyenne française (21,3 pour 100.000), il semble bien que cette vague de suicides cache une réalité plus inquiétante. Dans leur lettre d’adieu, plusieurs victimes mettent en cause l’énorme pression qu'elles subissaient et les multiples réaffectations qui sèment le doute et la crainte parmi les employés. France Télécom n’est bien entendu pas la seule grande entreprise confrontée au problème. En 2007, un phénomène semblable avait touché le personnel des constructeurs automobiles Renault et Peugeot, en France, et de l’entreprise de télécommunications Telstra, en Australie.

Quelques statistiques
Très peu de chiffres sont disponibles en Belgique. Le Japon, qui tient des statistiques précises sur les suicides au travail, en recensait 65 en 2006. En août 2009, le Bureau américain des statistiques du travail a lui aussi publié des chiffres relatifs aux suicides liés au travail sur le territoire américain: de 1992 à 2008, entre 180 et 230 suicides ont été enregistrés chaque année, soit une moyenne annuelle de 213 cas. Ces chiffres, qui comptabilisent les suicides sur le lieu de travail ainsi que les cas où les victimes font explicitement référence à leur emploi pour expliquer leur geste désespéré, ont connu un pic de 251 cas recensés en 2008 (contre 196 en 2007) – soit une hausse de 28% et le chiffre le plus élevé jamais enregistré. Au total, les suicides représentent entre 3,3 et 3,9% des accidents mortels sur le lieu de travail. Enfin, il faut signaler que près de 80% des suicides recensés le sont dans le secteur privé.

Professions à risque
Les données fournies par le Bureau américain des statistiques du travail tendent à indiquer que les managers et les personnes qui occupent des fonctions commerciales sont les plus exposées au risque (14%). Les transporteurs et les services de police et de sécurité représentent environ 10% des cas de suicides liés au travail. En 2008, la plus forte hausse a été enregistrée dans cette dernière catégorie de travailleurs (25 contre 14 l’année précédente), dont un tiers pour les seuls policiers. Ces cas de suicides s’expliquent en partie par le fait que ces personnes sont en possession d’une arme à feu.

Graphique 1 - Nombre de suicides 1992-2008* (US)

Graphique 2 - Nombre de suicides par profession 2007-2008 (US)


En quête d’explications
Si les syndicats français imputent principalement cette vague de suicides aux multiples réorganisations de France Télécom et à la pression qu'y subissent les travailleurs, l'absence de concertation avec les employés et le manque d'opportunités de recyclage et/ou d'accompagnement sont également pointés du doigt. Les dirigeants de l’entreprise française ont depuis lors annoncé la mise en place de différentes mesures afin de mettre un terme à l’escalade (voir encadré 1).

Encadré 1: Mesures adoptées par France Télécom
- renforcement du personnel afin de réduire la pression au travail
- mise en place d’un numéro vert pour les employés qui souhaitent poser des questions ou obtenir un soutien
- détection des signes de faiblesse psychologique chez les employés

Facteurs de risque
Différents motifs, souvent personnels, peuvent pousser les individus à mettre fin à leurs jours. En règle générale, plusieurs facteurs et raisons se combinent, parmi lesquels des facteurs purement professionnels. Bien souvent, ces mêmes facteurs interviennent également dans la spirale de la dépression.
La revue britannique Hazards a dressé un aperçu des principaux facteurs de risque (1). Cette étude démontre que le stress, qui affecte un nombre toujours croissant de travailleurs, figure en bonne place. Lorsqu’un travailleur a le sentiment de ne plus avoir d’emprise sur sa propre vie et de ne vivre que par et pour son travail, le risque de dépression augmente considérablement.
L’exposition à la violence ou aux agressions dans le cadre du travail, la pression, l’insécurité de l’emploi, le burnout, l’insatisfaction professionnelle et l’exposition aux produits dangereux font également partie des facteurs de risque les plus fréquemment cités.
Le lien entre restructurations, licenciements et dépressions a aussi été démontré. Lorsque la crise économique a éclaté fin 2008, d’aucuns se sont demandés si celle-ci aurait un impact sur l’évolution du taux de suicide. Jusqu’à présent, rien n'indique que ce soit le cas.
En revanche, l’accès à d'éventuels "facilitateurs" peut jouer un rôle prépondérant. Ainsi, un médecin dépressif aura tendance à puiser dans son stock de médicaments, un agent de police à tourner son arme contre lui, un agriculteur à utiliser ses pesticides, etc.

L’effet Werther
Dans le cas de la vague de suicide qui a frappé France Télécom, il semble que l’effet Werther ait joué un rôle de premier plan. Les études montrent en effet que la publicité qui entoure un suicide réussi a pour effet de rabaisser le "seuil de tolérance" à partir duquel les autres
franchissent le pas, créant ainsi un phénomène d’entraînement qu'il est difficile de combattre.

Quelle prévention?
Le suicide est une problématique particulièrement complexe. Chaque individu réagissant à sa manière, il n’est pas toujours évident de déceler des pensées suicidaires chez telle ou telle personne. Toutefois, différentes mesures s’offrent aux entreprises qui souhaitent réduire les risques. Les cadres ont notamment la possibilité de suivre une formation leur permettant de détecter les premiers signes de dépression. Les entreprises peuvent également prévoir un système d’écoute, de soutien et d’accompagnement des travailleurs en période de restructuration. Enfin, la réduction des risques passe également par la limitation de l’accès aux facilitateurs, en obligeant par exemple les agents de police à laisser leur arme de service au commissariat en dehors des heures de travail.

Basé sur un article d’Elien Degroote

: PreventActua 18/2009