La protection de la maternité en pratique: l’université de Hasselt montre l’exemple

L’université de Hasselt peut se targuer d’avoir su créer un environnement de travail favorable aux familles, une politique volontariste qui se marque dès le stade de l’embauche: "Notre université compte en ses rangs de nombreux jeunes collaborateurs. Nous avons tout fait pour qu’ils se sentent comme des coqs en pâte". Au-delà de son approche de la protection de la maternité, l’université sort également du lot de par sa grande ouverture envers les femmes qui souhaitent prolonger l’allaitement une fois leur congé de maternité achevé. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, en 2009, l’asbl De Bakermat a élu l’université "employeur de l'année" pour sa politique en faveur de l'allaitement.

Le cadre juridique
Légalement, les employeurs sont tenus de procéder à une analyse des risques pour les travailleuses enceintes et celles qui allaitent (AR du 2 mai 1995, MB du 10 mai 1995). En fonction des résultats, ils doivent adapter le poste de travail ou en écarter temporairement les travailleuses concernées. L’analyse des risques doit notamment passer en revue l’exposition éventuelle à des agents biologiques, chimiques et physiques, aux vibrations, au bruit, aux radiations ionisantes et non ionisantes, aux températures extrêmes, mais aussi s’intéresser aux postures de travail, à la manutention de charges, aux risques d’agression, etc. L’analyse doit en outre tenir compte de la nature, de l’intensité et de la durée de l’exposition aux risques. Certains agents sont totalement proscrits en présence de femmes enceintes (voir tableau 1). Lorsque des travailleuses enceintes sont en contact avec ce type d’agents, l'employeur se doit de prendre des mesures dans les plus brefs délais. La plupart des mises à l'écart ou des adaptations de poste ont lieu en milieu hospitalier, dans les laboratoires, les centres de désintoxication, les centres d'accueil pour handicapés mentaux/physiques, etc.

Tableau 1: liste des agents proscrits (annexe II de l’AR sur la protection de la maternité)

Agents physiques Agents biologiques Agents chimiques Procédés et conditions de travail
- manutention manuelle de charges pendant les trois derniers mois de la grossesse;
- ambiances chaudes supérieures à
30°C;
- radiations ionisantes
- bactéries: listeria monocytogenes, neisseria gonorhoeae, treponoma pallidum;
- virus: entérovirus (coxsackie, virus groupe B, echovirus), hépatite B, herpès, VIH, parvovirus humain B19, rubella;
- parasites: toxoplasma gondii

Le risque n'est pas présent s'il est démontré que la travailleuse enceinte est suffisamment protégée
contre ces agents par son état d'immunité.
- Acétate de 2-éthoxyéthyle;
- Acétate de 2-méthoxyéthyle;
- Acétate de dinosèbe;
- Acétate de méthyl-ONN-azoxyméthyle;
- Acétate de plomb basique; Sous acétate de plomb;
- Benzène;
- Benzo[a]pyrène;
- Benzo[d,e,f]chrysène;
- Binapacryl (ISO);
- Biphényles chlorés (42 % Cl);
- Biphényles chlorés (54 % Cl);
- bis (Orthophosphate) de triplomb;
- Chloroforme;
- Chlorure de méthyle;
- Composés de l'arsenic;
- Coumafène (Warfarin);
- di(Acétate) de plomb;
- Dimethylformamide;
- Dinosèbe;
- Dinosèbe (sels et esters de... à l'exclusion de ceux nommément désignés);
- 2-Ethoxyéthanol;
- Ethylènethiourée;
- Halothane;
- 2-Imidazoline-2-thiol;
- Médicaments antimitotiques;
- Mercure et ses dérivés;
- Méthanesulfonate de plomb (II);
- 3-Méthylcrotonate de 2-sec-butyl-4,6-dinitrophényle;
- Méthylglycol;
- 2-(1-Méthylpropyl)-4;6-dinitrophénol;
- Nitrofène (ISO);
- Oxyde de 2,4-dichlorophényle et de 4-nitrophényle;
- Plomb et ses dérivés, dans la mesure où ces agents sont susceptibles d'être absorbés par l'organisme humain;
- Sulfure de carbone;
- Tétrachlorure de carbone.
- les travaux souterrains miniers;
- les travaux manuels de terrassement, de fouille et d'excavation du sol;
- les travaux manuels effectués dans les caissons à air comprimé.

La protection de la maternité dès l’embauche
A l’université d’Hasselt, la protection de la maternité s’inscrit dans une perspective plus large, celle d’offrir la possibilité à davantage de femmes d’accéder à des hautes fonctions. "Pour une femme, ce n’est pas toujours évident de mener une carrière universitaire ou dans la recherche", nous assure l'administratrice générale de l'université, Marie-Paule Jacobs. "Les obstacles sont légion, a fortiori dans les postes impliquant de la recherche expérimentale. "De plus, l’université, comme toute autre entreprise, souhaite avant tout attirer et conserver des collaborateurs de qualité. Dans ce cadre, l’attention que l’établissement porte à la famille joue un rôle essentiel. "De nos jours, la grossesse ne devrait plus être un frein à l’évolution de la carrière. C’est pourquoi nous estimons qu’il est important d’offrir aux femmes un environnement de travail sûr afin de leur permettre, moyennant quelques adaptations, de poursuivre leurs activités professionnelles."
Dès le stade de l’embauche, le service du personnel et le médecin du travail délivrent des informations sur la grossesse et la maternité. Il s’agit d’informations générales concernant les procédures, les infrastructures offertes par l’université (comme des plaines de jeux pour les enfants du personnel pendant les grandes vacances), etc. "En tant que médecin du travail, je n’hésite pas à dire aux jeunes employées que je reste à leur disposition pour discuter de leurs éventuelles envies d’avoir des enfants. Bien entendu, je reste tenue par le secret professionnel", nous confie Bie Van Woensel. "En informant les femmes des risques et des opportunités dès le stade de l’embauche, on instaure un climat marqué de confiance, on démontre que la sécurité et le bien-être des femmes enceintes sont des éléments importants à nos yeux."

Métiers à risque
L’université d’Hasselt compte dans ses rangs de nombreuses jeunes collaboratrices. "Nos assistants et nos doctorants ont bien souvent entre 22 et 30 ans, l’âge auquel les gens commencent à fonder une famille", nous déclare Bie Van Woensel. Nombre de ces assistantes et doctorantes mènent des recherches de laboratoire et sont donc en contact avec des agents dangereux. Ainsi, l’institut de biomédecine compte actuellement pas moins de six femmes enceintes. Deux jeunes mamans, Inge Smolders et Quirine Swennen, sur le point de donner naissance à son deuxième enfant, travaillent sur la sclérose en plaques. "Lorsque nous avons été engagées, nous avons reçu une liste des substances qui peuvent s’avérer nocives pour les femmes enceintes, comme les substances tératogènes ou le formaldéhyde", affirme Quirine Swennen.

Analyse et adaptation des postes de travail
Dès qu’une employée notifie sa grossesse au service du personnel, une consultation est organisée avec le médecin du travail. "En général, elle a lieu dans la semaine qui suit", déclare Bie Van Woensel. "Cette consultation sert pour l’essentiel à fournir des informations sur la grossesse et l’utilisation d’un tire-lait après le congé de maternité. Depuis peu, nous évoquons également la problématique de la grippe mexicaine." La consultation est immédiatement suivie d’une analyse de poste individuelle qui réunit la travailleuse concernée, le médecin du travail et le responsable du service. "Le docteur Van Woensel a surtout pris des notes concernant les locaux où nous nous rendons fréquemment et les tests que nous effectuons", explique Inge Smolders. "Grâce à ces informations, nous avons dressé une liste des locaux dont l’accès nous était interdit. Dans la liste, il y avait même un local réservé aux étudiants qui font des essais. Bien que l’on n’utilise généralement pas de produits très dangereux dans ce local, il nous a été conseillé de ne plus y aller dans la mesure où les étudiants renversent plus facilement des produits." Enfin, les femmes enceintes n’ont pas le droit de nettoyer les laboratoires.
"Dans la plupart des cas, les futures mamans peuvent encore se charger de 80% des tâches qui leur incombent. Pour les 20% restants, nous recherchons une solution. Le plus souvent, cette solution passe par un échange de tâches par lequel la travailleuse enceinte assume une plus grande part de travail administratif tandis que ses collègues prennent en charge les éventuelles manipulations dangereuses." Dans le département où travaillent Inge Smolders et Quirine Swennen, les femmes enceintes ne peuvent plus pratiquer d’isolation d’ARN car le produit utilisé pour cette manipulation est nocif. De la même manière, elles ne peuvent plus se servir d’isoflurane pour anesthésier les animaux de laboratoire. "Dans mon cas, la solution était évidente puisque je travaillais avec un stagiaire qui pouvait donc effectuer tous les tests à ma place", conclut Inge Smolders.

Grippe mexicaine
L’université d’Hasselt s’efforce également d’attirer l’attention des travailleuses enceintes sur les problèmes liés à la grippe mexicaine. Bie Van Woensel: "Nous demandons au service du personnel d’avertir le médecin du travail lorsqu’il constate de nombreux cas de maladies dans un département donné. Lorsque les symptômes font penser à la grippe mexicaine, nous écartons immédiatement toutes les femmes enceintes non vaccinées du département touché." La procédure n’a encore jamais dû être appliquée, mais les femmes et les professeurs concernés la connaissent.

Employeur pro-allaitement de l’année 2009
De Bakermat, un centre d’expertise flamand pour les soins postnatals, décerne chaque année un prix à l’employeur jugé le plus positif à l’égard de l’allaitement. Les employeurs sont choisis directement par les employés. En 2009, deux élus se sont partagés le prix: la CSC Bruxelles et l’université de Hasselt.
En 2006, De Bakermat avait demandé à 1.800 mères de compléter un questionnaire relatif à l’allaitement. Les résultats montrent que la reprise du travail coïncide bien souvent avec le moment où les femmes choisissent d'arrêter l'allaitement. Si 64% des mères choisissent d’allaiter leur enfant, ce chiffre baisse déjà à 39% après trois mois – période de reprise du travail. A six mois, seules 15% des mères allaitent encore leur enfant, contre 4% à un an. Dans d’autres pays (Luxembourg, Espagne, Autriche, Danemark, Suède, Finlande et Islande), la proportion de mères qui poursuivent l’allaitement lorsque leur enfant atteint l’âge de six mois oscille entre 40 et 80%. La moitié des femmes qui allaitent encore leur enfant lorsqu’elles recommencent à travailler affirment ressentir des blocages sur leur lieu de travail.

Le cas de l’université de Hasselt
Si l’université a été désignée lauréate du prix, c'est parce qu'elle a développé les conditions nécessaires pour qu'allaitement et travail aillent tout naturellement de pair, et ce même après sept mois.
Dès la fin du congé de maternité et la reprise du travail, le médecin du travail reçoit la jeune maman en consultation afin de déterminer comment se portent la mère et l’enfant, comment se sont déroulés l’accouchement et les premiers mois, etc. Si des problèmes subsistent (enfant malade, maman pas encore prête à se remettre au travail, etc.), le service du personnel intervient pour dégager une solution concertée. Le cas échéant, la travailleuse est orientée vers un médecin généraliste.
"Pendant cet entretien, nous apportons des informations supplémentaires concernant l’emploi du tire-lait aux femmes qui souhaitent continuer à allaiter leur enfant", déclare Bie Van Woensel. "Je leur conseille de trouver un accord avec la direction de leur service afin de pouvoir disposer d’un local. Si les choses ne se passent pas bien, je fais en sorte de trouver malgré tout un petit local."
A l’institut de biomédecine, Inge Smolders peut se retrancher dans le cabinet médical. "Quand il y a des patients – ce qui arrive régulièrement – je profite des absences de mon collègue pour tirer mon lait dans mon bureau", confie-t-elle.
De nombreux exemples pratiques attestent de l’atmosphère particulièrement ouverte qui règne à l’université à propos de l’allaitement. Les femmes qui ont connu cette expérience n’hésitent pas à donner informations et conseils aux jeunes mamans. "Ici, il n’est pas rare que les mamans continuent de tirer leur lait au delà de l’âge de sept mois", explique Bie Van Woensel. Selon elle, le climat propice à l’allaitement instauré au sein de l’université porte ses fruits: "Nos collaboratrices sont très contentes et il n'est pas rare qu'elles abrègent leur congé de maternité. De plus, cela réduit les absences pour cause de maladie car tout le monde sait qu’un enfant allaité est un enfant en bonne santé."




Législation relative aux pauses d’allaitement
La CCT n°80 octroie aux travailleuses le droit d’allaiter leur enfant au lait maternel ou de tirer leur lait pendant la journée de travail.
- ce droit reste valable jusqu’à sept mois à compter de la naissance de l’enfant. Cette période peut, dans des circonstances exceptionnelles, être prolongée de maximum deux mois;
- une personne qui travaille pendant 4 heures a droit à une pause d’une demi-heure, tandis qu’une personne qui travaille pendant 7h30 a droit à deux pauses d’une demi-heure;
- pour bénéficier de ce droit, les travailleuses doivent parvenir à un accord avec leur employeur précisant les moments de la journée auxquelles les pauses seront prises;
- tous les mois, la travailleuse doit fournir la preuve de l’allaitement. Cette preuve est fournie sous la forme d’une attestation d'un centre de consultation des nourrissons ou d’un certificat médical;
- une travailleuse usant du droit aux pauses d’allaitement bénéficie d’une protection contre le licenciement.

Tirer son lait au travail: conseils aux employeurs et aux dirigeants (Bie Van Woensel, médecin du travail)
- Introduisez l’aspect "protection de la maternité" dès le stade de l’entretien d’embauche. Insistez sur le fait que les questions relatives à la grossesse et à l’allaitement sont traitées en toute confidentialité. Informez les travailleuses et rassurez-les.
- Ne craignez en aucun cas de voir les travailleuses profiter des facilités offertes par l’entreprise. L’expérience montre que les mères qui ont la possibilité de combiner travail et allaitement en sont reconnaissantes et ne passent pas plus de temps qu’il n’en faut à tirer leur lait.
- encouragez les travailleuses enceintes à discuter de l'allaitement avec des collègues qui sont déjà passées par cette étape.
- Pendant la grossesse, déterminez avec la travailleuse enceinte un local adapté pour allaiter. Dans ce cadre, l’intimité, l’hygiène, l’eau courante et la présence d’un réfrigérateur demeurent les principaux critères à prendre en compte.

Des changements visibles
L’approche développée par l'université à l’égard de la maternité donne déjà des résultats. De plus en plus de fonctions dirigeantes sont désormais occupées par des femmes (le vice-rectorat de l’établissement est par exemple assuré par une femme). Sur le plan administratif également, les femmes accèdent aux plus hautes fonctions. L’administratrice Marie-Paule Jacobs estime quant à elle que le plus grand changement est intervenu au sein du corps professoral. "Nous attirons toujours plus de jeunes femmes professeurs, même dans les disciplines les plus expérimentales. C’est plutôt encourageant." Selon elle, ce n’est pas tant le recrutement des femmes qui pose problème que leur évolution de carrière. "Les femmes ont bien souvent le sentiment qu’elles ne seront pas capables de mener de front vie de famille et vie professionnelle. En tant qu’employeur, si vous voulez conserver des collaborateurs de qualité, c’est à vous de leur prouver qu’elles se trompent." L’université ne voit par exemple aucun inconvénient entre fonction dirigeante et travail à temps partiel (80%). Le travail à domicile, lorsqu’un enfant est malade par exemple, est également une pratique courante. "Attention, nos collaborateurs masculins sont logés à la même enseigne. L’équilibre entre vie de famille et vie professionnelle n'est pas uniquement l'affaire des femmes."

: PreventFocus 1/2010